[FR] Haïti : « Se plaindre du manque de maisons d’édition n’est pas la meilleure attitude à adopter si on veut être édité » Louis-Philippe Dalembert

Né à Port-au-Prince en 1962, Louis-Philippe Dalembert est l’auteur de plusieurs essais, romans, nouvelles, et des recueils de poèmes. Il est lauréat de plusieurs prix littéraires parmi lesquels, le prix RFO du livre (1999) pour son roman « L’autre face de la mer », le prix Casa de las Americas (2008) pour son roman « Les dieux voyagent la nuit », le prix Thyde Monnier de la SGDL (2013) pour « Ballade d’un amour inachevé », le Prix Orange du livre (2017) pour « Avant que les ombres s’effacent ». Il vient de remporter le prix de la Langue française 2019 et son dernier roman « Mur Méditerranée » qui est en lice pour le Goncourt 2019. Journaliste, Docteur en littérature, Louis-Philippe Dalembert est l’une des figures majeures de la littérature haïtienne du 21e siècle. Il a accepté de répondre aux questions de « Publishers & Books »

►Bonjour Louis-Philippe. Merci pour avoir accepté de répondre aux questions de la revue « Publishers & Books ». Vous venez de recevoir le prix de la langue française, vous êtes le premier auteur haïtien à recevoir ce prestigieux prix, cela veut-il dire quelque chose pour vous ?

Pour moi, le fait d’être le premier Haïtien à recevoir ce prix, ou un autre, ne signifie rien en particulier. Je n’écris pas pour être le premier ou le dernier, mais par passion et pour dire quelque chose. Quand j’ai reçu le Prix Casa de las Américas en 2008, le plus important prix littéraire latino-américain, pour mon roman Les dieux voyagent la nuit, j’étais très heureux, alors que les poètes haïtiens Anthony Phelps et Paul Laraque l’avaient reçu avant moi.

Je le suis tout autant en recevant ce Prix de la langue française. C’est une reconnaissance venue d’écrivaines et écrivains, les membres du jury, dont j’admire pour la plupart le travail. J’aurais mauvaise grâce à cacher ma joie.

►Quelle est votre relation avec la langue française ? Pourriez-vous nous raconter votre histoire avec cette langue ?

La même que celle que j’entretiens avec le créole quand j’écris en créole. Elle devient alors mon outil de travail, et donc j’en prends grand soin. J’essaie de la faire vibrer au mieux de mes capacités et de ma sensibilité d’homme. J’essaie surtout de l’amener à traduire le mieux possible ma pensée ou l’histoire que je raconte, s’il s’agit de prose.

J’ai la chance de connaître, voire de vivre dans d’autres langues. Je n’ai de rapport fétichiste avec aucune en particulier. Cela étant, le français et le créole restent les plus proches, ce sont les langues dans lesquelles j’ai vécu l’enfance. Or, l’enfance nourrit beaucoup mon imaginaire d’écrivain.

►Nous sommes une revue panafricaine qui encourage l’édition du livre, de ses métiers, acteurs en Afrique et dans la Caraïbe. Pourquoi votre choix de la France pour l’essentiel de vos publications ?

Une première réponse pourrait être : c’est le pays dans lequel j’ai vécu le plus ces trente dernières années. Elle n’est bien sûr pas suffisante. Des écrivains haïtiens qui n’ont pas quitté Haïti pendant cette période sont dans la même situation que vous mentionnez. Il y a donc une autre raison : la France représente, de loin, le plus important marché de l’édition francophone de la planète, avec des maisons d’édition structurées, des canaux de diffusion bien huilés, des institutions solides, les prix littéraires les mieux dotés – le Prix de la langue française en est la preuve, un lectorat potentiel de soixante millions de personnes, etc. Pour un écrivain, accéder à un tel marché permet de rêver de pouvoir vivre de son métier, même si, dans la réalité, très peu y arrivent.

Cela dit, tout écrivain souhaite d’abord et avant tout être édité dans son pays natal. Personnellement, je fais tout pour. Ainsi, sur mes dix romans, six sont déjà publiés en Haïti ; deux le seront l’année prochaine. Ce qui porte le chiffre à huit sur dix. C’est plutôt bien, je trouve.

►Comment faire pour écrire vos livres ?

S’asseoir à une table, ou debout à un pupitre – certains écrivent ainsi –, et écrire. Le plus souvent, et le plus régulièrement possible. Il y aura des passages à vide, c’est sûr. Mais il faut persévérer. Encore et encore. Y croire, alors même que vous seriez la seule ou le seul. Je ne connais pas d’autres moyens.

►Que direz-vous aux jeunes écrivains Africains et Haïtiens qui sont incapables de trouver une maison d’édition pour publier leur livre, non pas à cause de la qualité de leur texte, mais par manque de maison d’édition ?

Rome ne s’est pas faite en un jour. Il faut continuer d’écrire encore et encore. Ce faisant, ils apprennent le métier, et finissent par produire de meilleurs textes. Autrement dit, un mal pour un bien. On est tous passés par là. Il faut aussi se confronter aux grands auteurs par la lecture régulière. On apprend beaucoup d’une telle fréquentation. S’ils abandonnent en cours de route, c’est que ce n’était pas leur voie. Se plaindre du manque de maisons d’édition n’est pas la meilleure attitude à adopter si on veut être édité. Même si le constat est juste. La question devrait être : comment puis-je améliorer mon travail pour être publié, ici ou ailleurs ?

►Quelle est votre perception de la littérature africaine contemporaine ?

Sans être un spécialiste de cette région du monde, je dirais qu’il n’y a pas une, mais des littératures africaines, écrites dans les langues des anciennes métropoles (le français, l’anglais, le portugais, l’afrikaner) comme dans celles qui existaient avant l’arrivée des colons européens (le swahili, le lingala, le ouolof, etc.).

Par la force des choses, je connais un peu les littératures en langue française, et un ou deux écrivain(e)s de langue anglaise, publié(e)s en France. Ma connaissance de ces littératures s’arrête là. Pour le peu que je sache, j’ai envie de dire que celles d’expression française renouent avec un dynamisme certain après un passage à vide entre la toute fin du siècle précédent et le début de celui-ci. Pour preuve, je piocherai dans les plus récentes publications en citant le Djiboutien Abdourahman Waberi, dont le roman Pourquoi tu danses quand tu marches (éditions Lattès) figure dans la deuxième sélection du Prix Renaudot. Ou encore la Mauricienne Nathacha Appanah, dont le dernier roman, Le ciel par-dessus le toit (Gallimard), est en lice avec mon roman Mur Méditerranée pour le Prix Goncourt des lycéens.

►Louis-Philippe Dalembert, merci !

Merci à vous…

Propos recueillis par Ricot Marc Sony

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